CLC : Raconte !
Tristan : L'année dernière j'avais clôturé la saison par un Brevet de Randonneur Sportif (BRS) 400km à Grenoble via les cols de la Croix de fer (car la route du Galibier était coupée suite à l'éboulement au barrage du Chambon) et de l'Iseran.
Le principe de ces brevets est simple: un parcours est défini à l'avance, ce n'est pas une course mais il ne faut pas traîner car il y a un temps limite à ne pas dépasser pour être homologué.
Le parcours est réalisé en autonomie totale, pas d'assistance mécanique, ni de ravitaillement.
Cette année, une route de dérivation a été tracée au Chambon ce qui permet d'emprunter à nouveau le Galibier.
Le parcours est particulièrement intéressant et exigeant avec un passage au sommet de 2 des plus hauts cols routiers de France: le Galibier (2642m) et l'Iseran (2764m).
CLC : Les conditions météo ?
Tristan : Prévu le samedi 1er octobre, les choses s'annoncent mal au fil de la semaine car la météo est mauvaise (neige prévue au sommet des cols). Le jeudi matin il n'y a plus aucun espoir, ce sera le déluge samedi.
J'avais pris ma journée de vendredi pour arriver tranquillement, et me reposer avant le départ. Je décide donc de bousculer mes plans, et de réaliser le parcours le vendredi où il ne doit pas pleuvoir. J'écourte un peu la journée de travail, le temps de préparer toutes les affaires, je pars de Périgueux à 20h. J'arrive à Grenoble à 1h30, le temps de trouver une rue calme pour poser mon van, je me couche à 2h non sans me dire que je suis complètement fou.
A 5h30 le réveil sonne, et 2 bonnes nouvelles: le ciel est clair, et je ne suis pas trop fatigué (sûrement l'excitation de commencer à en découdre).
Je mange, prépare tranquillement mes affaires car il ne faut surtout rien oublier. J'opte pour le sac à dos car je préfère avoir le poids sur moi que sur le vélo. Le sac est assez lourd ( environ 4kg) avec la réserve d'eau, la nourriture, le matériel de survie si pépin en route et quelques habits chauds et légers. Je rejoins le départ près de la gare de Grenoble.
CLC : C'est un départ à quelle heure ?
Tristan : Quand je pars pour de bon il est un peu plus de 7h.
Le parcours débute par la remontée de la vallée de la Romanche, et il fait froid car le soleil n'est pas encore là. Je passe au pied des grandes ascensions du tour de France: le col de la Croix de fer, puis l'Alpes d'Huez. Arrivée ensuite sur la route de secours du Chambon tracée à la hâte et qui surplombe le lac.
La première ascension débute avec le col du Lautaret, c'est long, mais pas très dur, arrivé en haut on tourne à gauche et commence le Galibier. Les pourcentages sont plus importants, mais la vue est magnifique, je ne le connaissais pas mais c'est vraiment un bel endroit, très préservé. A 1km du sommet, le fameux tunnel routier interdit aux vélos. Je décide de faire ma première pause, ça fait plus de 5 heures que je roule et le compteur indique 100km. Un double jambon-beurre et une grande limonade achetés à la boutique du Galibier me requinquent, et le dernier km pourtant très dur passe comme une lettre à la poste.
Descente ensuite sur Valloire, et la courte remontée vers le col du Télégraphe, descente ensuite sur Saint-Michel de Maurienne.
Commence alors la très longue remontée de la vallée de l'Arc, peu intéressante au départ avec la proximité de l'autoroute et du trafic des poids lourds vers l'Italie, à partir de Modane on retrouve des paysages magnifiques. La montée vers Aussois sonne les premiers gros pourcentages.
CLC : Ton état de forme à ce moment là ?
Tristan : A la sortie de Lanslevillard c'est 3km à 12%, les jambes commencent à tirer, et pourtant j'évite de ralentir car des nuages sont en train de monter côté italien. Quelques km de plat après Bessans et j'arrive à Bonneval sur Arc (magnifique village classé) au pied du col de l'Iseran, il fait déjà bien sombre.
Ravitaillement rapide en eau à la fontaine (c'est l'avantage des Alpes, il y a beaucoup de points d'eau potable), et j'attaque la montée soit 14km.
Au bout des 4 premiers km bien corsés la nuit tombe complétement, je m'arrête pour m'équiper. J'enfile les jambières, la veste, mets en route l'éclairage (phare avant led avec accu, double éclairage arrière fixe et scintillant visible à 2km !!! + gilet fluo et brassards scintillants).
CLC : Mais c'est de la folie ?
Tristan : J'ai l'impression des fois d'être fou en effet .
Je continue l'ascension dans les alpages, je ne suis pas seul, dans mon phare je vois parfois des yeux qui brillent et j'entends le bruit des cloches des vaches. Et ça recommence à monter, je sais que la fin du col est très dure, mais bêtement je me mets à espérer que la pente s'est peut-être adoucie depuis mon dernier passage, ou que je suis plus en forme. Au niveau du petit tunnel de l'Iseran, je quitte ma dernière supportrice: une chauve souris qui vient s'écraser sur mon casque, sûrement perturbée par mon éclairage. Il ne passe plus aucune voiture, et je prie pour ne pas avoir d'incident mécanique.
CLC : Tu es toujours motivé ? Ta forme ?
Tristan : Il reste 2 km, j'aperçois la borne qui indique 10% sur le prochain km, je suis à l'endroit redouté et pas dans la meilleure forme. Je m'arrête 2 minutes pour récupérer et aborder ce qui sera le moment le plus dur du parcours. C'est interminable, je dois monter à 5km/h, enfin j'aperçois la dernière borne et les 7% annoncés feraient presque du bien en comparaison à ce que je viens de passer. Un dernier virage et me voici au point culminant du parcours: le col de l'Iseran.
Il fait froid (1°C), mais c'est superbe, il n'y a pas un bruit, le ciel est étoilé, rien que ce spectacle suffit à gommer la fatigue de l'ascension. Je prends une photo, règle mon éclairage à pleine puissance. Le compteur indique 210km, il est 21h et je veux être à Bourg Saint Maurice à 50km avant 23h pour m'alimenter au Mac Do avant la fermeture.
J'attaque la descente prudemment en me méfiant des blocs qui peuvent être au milieu de la route, j'aperçois les lumières de Val d'Isère 1000m plus bas. La descente se passe bien, mais il fait vraiment froid et je commence à claquer des dents malgré la température qui remonte au fil de la descente. Mission accomplie, j'arrive au Mac Do à 22h30 après 20 km de descente. Je prends ma deuxième pause de la journée, il me reste 150km à faire, mais sans grosses difficultés, et je roule depuis presque 16 heures.
CLC : Tu décides de repartir à quelle heure ?
Tristan : A 23h je redémarre, passage à Moutiers, puis Albertville, on longe ensuite la vallée de l'Isère. Peu de trafic à cette heure, et comme je l'ai souvent remarqué en habitué des entraînement nocturnes, les automobilistes se comportent mieux la nuit vis à vis des vélos avec des dépassements larges et signalés. Je n'ai pas envie de dormir, et j'arrive sur Grenoble à 5h. Grenoble est très étendue, et l'an dernier j'avais galéré pour retrouver le point de départ. Cette fois je prends mon portable et utilise la célèbre application gps pour trouver le chemin. A 5h30 je suis rendu à mon van, aventure terminée. Temps total 22h30 (la délai max était de 26h), un peu plus de 20 heures sur le vélo, moyenne 20,2 km/h, 6200m de dénivelée.
CLC : Un seul mot....Bravo ! Ce type d'expérience est réservé à des baroudeurs d'un autre monde.....
Tristan : Pas du tout. Une fois de plus, je suis comblé par cette expérience qui peut être réalisée relativement aisément avec un minimum d'entrainement et à condition de bien gérer les temps forts et les temps faibles qui alternent avec harmonie.
CLC : Mouaih.....
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